mardi 8 décembre 2009

Entretien avec Michel Cazenave sur Carl Gustav Jung

Par Nicolas D'inca

Jung est mal connu en France. Si on dépasse les querelles d’écoles entre psychanalystes, que sait-on réellement de Jung ? Michel Cazenave est responsable de la traduction française de l’œuvre jungienne depuis maintenant vingt-cinq ans. Philosophe, poète, producteur à France Culture avec « Les vivants et les dieux », il a fondé le Centre d’Etude et de Recherche Francophone Carl Gustav Jung. A l’occasion du colloque « Psychanalyse et Bouddhisme. Au-delà du sujet, la liberté ? » qui aura lieu à Paris le 19 décembre, il nous a fait l’honneur d’accepter de répondre à quelques questions sur ce thème. Son intervention portera sur une « Relecture de Jung : le complexe du moi et son nécessaire dépassement (Jung et la spiritualité orientale) ».

Qu’en est-il de la notion de sujet ou de subjectivité en psychanalyse ?

Le moi chez Jung n’existe pas en tant que tel. C’est une illusion. Le sujet n’existe pas. Cela me semble évident, ce que nous appelons la subjectivité, il faudrait arriver à s’en défaire un jour. On la présente comme un progrès de l’Occident mais je crois que c’est une grande perte de l’Occident. Evidemment, il faut nuancer un peu. Fondamentalement, je pense que l’être humain n’est pas un sujet, car il n’est que l’espace où se manifeste autre chose que son propre moi. En même temps, on a aussi besoin d’un moi, même si en tant que jungien, je pense que le moi est un pur complexe, ou un agrégat pour prendre ici un vocabulaire bouddhiste. Lorsque le « cela » s’est révélé, le moi s’est transformé. Ce n’est plus l’ego de la subjectivité, c’est simplement le réceptacle que nous sommes pour que puisse se manifester ce « cela ». C’est le Soi tel que l’entend Jung, quand il dit qu’il s’agit de passer de « je vis » à « cela vit en moi ». A partir d’un certain stade du processus, le moi n’existe plus que pour refléter le Soi. S’il n’y a pas de réceptacle au Soi, comment va-t-il se apparaître ? S’il n’existe pas quelque chose, comment le principe totalement inconditionné ou la vacuité va-t-elle se manifester ?

Cela rejoindrait la notion bouddhiste de vacuité ?

Je crois que c’est très clair. Quand Jung parle du Soi, il faut bien comprendre qu’il le prend au sens strict. Il le définit toujours comme un concept-limite, c’est-à-dire un concept à la limite de la psychologie et de la métaphysique, pour ne pas dire spiritualité. Dans le Commentaire du Mystère de la fleur d’or, il reprend l’expression qui consiste à dire que c’est « un concept-limite à valeur négative ». Il s’inscrit alors dans toute la tradition occidentale de la théologie négative, selon laquelle le principe, on ne peut strictement rien en dire. Jung le dit souvent, ce qui m’intéresse aussi dans la psyché humaine, est de l’ordre de la finalité, c’est-à-dire ce à quoi je suis appelé. D’où est-ce que nous venons et en même temps à quoi est-ce que nous sommes appelés ? Au dépassement de nous-même. C’est l’idée que dans la psyché humaine, tout est processus, tout le temps en train de changer. Quand il parle d’individuation, il pense à un processus continu, un chemin qui change sans cesse. On n’est jamais arrivé – sauf dans certaines expériences particulières, et là Jung cite le satori ou le samadhi. En-dehors de ces expériences, on n’est jamais arrivé et d’ailleurs même du satori, on en sort ! Il a quand même eu de très longues discussions avec D.T. Suzuki, ils ont travaillé des années ensemble au cercle d’Eranos. Jung a écrit tout un ensemble d’articles sur le Bardo Thödol, le livre de la grande délivrance, qu’à l’évidence Suzuki lui avait donné à lire.

La suite :
http://psychologie-meditation.blogspot.com/2009/11/un-autre-visage-de-jung-entretien-avec.html

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