L'Arcane sans nom
Transformation profonde, révolution
par Alejandro Jodorowsky et Marianne Costa
La voie du Tarot, Ed Albin Michel 2004
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L'arcane sans nom |
L'erreur la plus répandue concernant cet Arcane est de celle de la tradition superficielle qui lui a donné la signification, et parfois le nom de « la Mort ». Le poids de cette inexactitude a fortement pesé sur l'interprétation de l'Arcane XIII. Certes, on y voit comme figure centrale ce squelette faucheur qui, dans la tradition populaire, représente la mort. Cependant, de nombreux éléments nous permettent d'écarter cette interprétation simpliste. D'une part l'Arcane XIII n'a pas de nom.
Après le travail de vide et d'approfondissement réalisé par le Pendu, cette carte invite à une purification radicale du passé à une révolution qui se situe dans les profondeurs non verbales ou préverbales de l'être, dans l'ombre de ce terrain noir, de cet inconnu de nous-même d'où émerge, comme matrice notre humanité.
D'autre part, on remarquera que 13 n'est pas le chiffre ultime de la série des Arcanes majeurs, mais qu'il se situe un peu au-delà du milieu de la série. Si cette carte représentait une fin, elle porterait probablement le numéro vingt-deux. Sa situation au cœur du Tarot nous incite à la voir comme un travail de nettoyage, une révolution nécessaire au renouvellement et à l'ascension qui mène après elle, degré par degré, vers la réalisation totale du Monde.
Par ailleurs cette carte numérotée mais non intitulée fait écho au Mat qui a un nom mais pas de numéro. La similitude des postures entre les deux personnages est évidente : le squelette de l'Arcane XIII pourrait être celui du Mat vu aux rayons X. Nous pouvons en déduire que ces deux arcanes représentent deux aspects d'une même énergie fondamentale.
Mais si Le Mat est avant tout un mouvement, un apport, une libération, l'Arcane XIII évoque un travail semblable à un labour ou une moisson préparant le terrain d'une nouvelle vie.
Là encore, un indice évident nous éloigne de l'interprétation simpliste : ce squelette est couleur chair, la couleur de la vie organique par excellence. Il s'agit du squelette que nous portons en nous, l'os, l'essence vivante et la structure de tout mouvement, et non pas du squelette que nous laissons derrière nous après notre disparition de cette vie.
Un
os blanc, au sol évoque l'ossature desséchée (l'origine du terme « squelette » est un mot grec qui signifie « desséché ») mais
même cet os mue vers une nouvelle vie puisque, percé de sept trous, il se présente comme une flûte, instrument qui n'attend qu'un souffle pour produire sa musique ; ce souffle pourrait être divin. Ainsi, il est impensable de réduire l'Arcane XIII à la signification de « La Mort ». on peut en revanche y voir une grande transformation, une révolution, un changement radical.
Le personnage avec sa faux vitale (rouge) et spirituelle (bleu ciel) est en train de travailler la nature,
sa propre nature profonde, il tient la faux par un manche jaune, couleur de l'intelligence :
le travail a été voulu, pensé, et maintenant il s'accomplit.
Dans le processus de l'Arcane XIII, on verra souvent affleurer la colère ou l'agressivité, subie ou exprimée. Mais il est possible que ce travail s'effectue comme un éclatement, une explosion rapide et libératrice.
C'est un processus d'élimination qui laboure l'égo et le dompte.
Plus aucun élément inutile n'est toléré, les systèmes de valeurs et les concepts réducteurs qui nous enferment sont balayés, et avec eux la complicité que nous entretenions jusque-là avec notre irréalisation ou notre névrose.
Tous les liens de dépendances sont coupés pour nous permettre de récupérer la liberté perdue, celle-là même dont le mat est le symbole primordial.
Le sol noir sur lequel travaille l'Arcane XIII rappelle le
nigredo de l'alchimie, ou la vase d'où émerge le lotus dans la tradition bouddhiste. C'est la couleur de l'inconscient, de la vacuité, du mystère profond. Nous y trouvons
deux têtes dont on ne sait si elles sont coupées ou si elles surgissent de l'obscurité – en tout cas,
le squelette s'appuie sur elles pour avancer.
Père et mère ont été détrônés, dans un premier temps, pour que la noblesse profonde du masculin et du féminin apparaisse, sous la forme de deux archétypes purifiés. Deux êtres humains de tradition royale naissent donc ici, de même que poussent deux formes d'herbes : l'une bleu foncé, couleur de la réception spirituelle intuitive, et l'autre jaune, couleur de l'intelligence active et solaire.
Nous observons aussi que
des pieds et des mains se détachent sur le noir du sol, certains très bien formés, d'autres imparfaits. Sont ils coupés ? Poussent ils ?
Dans ce cas, on peut dire que l'être nouveau affleure déjà à la surface. Si nous étudions de plus près le personnage squelettique, nous voyons que
son visage n'en est pas un, c'est une ombre de profil, comme si le noir du sol était monté jusqu'à la tête, que le mental s'était vidé.
L'œil du personnage rappelle un dragon se mordant la queue, symbole de l'univers infini. Sa tête porte une forme lunaire, signe de la réceptivité et sur l'arrière de son crâne, en tournant la carte, on peut découvrir parmi les hachures les lettres hébraïques, Yod, Hé, Vov, Hié qui composent le Nom divin. La somme de ces quatre lettres, dans l'alphabet hébreu, donne 26, chiffre de la divinité, dont 13 est l'exacte moitié.
Cet être porte en lui la divinité, mais il n'est pas entièrement divin, il travaille dans le plan de l'incarnation. Le bassin du personnage et sa colonne vertébrale reprennent les couleurs de la faux bleu :
bleu ciel et rouge, comme si ces deux couleurs (action vitale et réceptivité spirituelle ; constituaient la base de la croissance qui se développe le long de la colonne en épi de blé, jusqu'à la fleur rouge à quatre pétales qui soutient la tête. Caché dans son bassin, un cœur bleu nous indique qu'il travaille avec amour.
Un de ses genoux et un de ses coudes portent une fleur à trois pétales ou un trèfle rouge qui désigne là encore l'activité en des points stratégiques de l'être : genou et coude sont le lieu du charisme, de la communication avec la foule.
Dans le corps couleur chair, une jambe et un bras sont baignés de la couleur bleu ciel, il
s'agit d'un être actif et communicatif à la fois incarné et spirituel, humain et divin, mortel et immortel. Son masque est effrayant. Même si nous avons vu qu'il cache l'action divine, on peut se laisser terrifier par son apparence et voir dans un personnage un boiteux à la tête vide qui fauche au hasard sans respect comme la mort injuste et sans merci.
Mais son action nous indique la voie de la transformation et nous amène de la mortalité à l'immortalité de la conscience individuelle.
La Voie du Tarot,
Alejandro Jodorowsky et Marianne Costa
Ed Albin Michel 2004